Journée du LAB’AATF : l’innovation managériale en paroles et en actes. 

Contrainte financière, réformes institutionnelles, attentes nouvelles des usagers, des salariés et des agents publics, digitalisation de la société française, qualité de vie au travail et qualité de vie dans le travail… Le Lab’AATF, incubateur de pratiques managériales innovantes pour les collectivités, organisait une matinée gratuite pour croiser les regards d’acteurs publics et privés, qui ont témoigné de leurs innovations et expériences concrètes pour faire bouger les lignes. Notre envoyé spécial Frédéric Hingray était sur place.

Via son Lab, incubateur d’expérimentations managériales et organisationnelles, l’AATF (Association des Administrateurs Territoriaux France), l’administration territoriale a choisi d’ouvrir au public une matinée de conférence autour du partage d’expérience sur l’innovation managériale. Émilie Agnoux, directrice de l’innovation, du dialogue social et de l’animation managériale, pilote cette initiative riche en expériences passées, présentes et futures, grâce à des intervenants représentant un panel hétéroclite, et complémentaire à la fois.

La thématique principale abordée est la suivante : susciter l’évolution de la culture professionnelle et des pratiques managériales en collectivité. Les intervenants sont amenés à s’exprimer sur trois axes, formalisés par des questions ouvertes.


INTERVENANTS:

Amélie Brun : direction de la modernisation de l’action publique « hackeuse de l’administration« , département du Calvados. Elle revendique cette notion de hacker pour « détourner le système ». Elle résume la nécessité de faire évoluer le système ainsi : »Quand on affronte les problèmes de demain avec les organisations d’hier on récolte les problèmes d’aujourd’hui« .

Michel Hervé : président fondateur du groupe Hervé, a revêtu au cours de sa carrière de nombreuses casquettes, notamment : banquier, enseignant, homme politique ou encore président de : l’agence nationale création d’entreprises, europe-tibet, ville numérisée, europe 99. Il est l’auteur de nombreuses publications (De la pyramide aux réseaux, Entreprise 2.0, Le pouvoir au delà du pouvoir, Une nouvelle ère, sortir de la culture du chef : essai).

Yannick le Berre : directeur des opérations au sein de la fondation ophtalmologique A. de Rothschild.

Emilie Baudet : co-dirigeante du cabinet Cap Nova, consultante coach spécialisée en management public et politique. Elle accompagne des managers dans la définition de leurs projets stratégiques, le management et l’organisation de leur structure. Publication : « Manager dans l’incertitude ». « Vous allez ou ? Vous cherchez quoi ? » Sont les question à poser aux managers, selon elle.


L’innovation managériale concrètement, c’est quoi dans votre structure ?


Amélie Brun évoque une approche systémique avec 5 axes d’actions quotidiens :

  • Idées capitalisées des collaborateurs à tous niveaux
  • Action de manière très offensive sur les accompagnements. Coaching sur les développeurs de talents
  • Action sur les conditions de travail des agents. Télétravail par exemple
  • Action sur la rémunération et la reconnaissance
  • Action sur la structure elle-même, casser les circuits historiques, le schéma pyramidal

Michel Hervé commence par une rétrospective sur son parcours personnel : Il rappelle le contexte de l’après-guerre, et témoigne de son expérience : au service militaire il a été déclaré inapte au commandement, car incapable de diriger des individus. Suite à cela, il décide que « le besoin d’être était supérieur au besoin d’avoir », en faisant référence à la théorie de Friedrich Nietzsche : « Avoir une existence au delà de l’existant ».

Il faut donc être AUTONOME.

Selon lui, nous apprenons grâce aux erreurs. Il nous communique sa définition, littérale, de l’entreprise : passer d’une prise à l’autre, passer de la joie de se casser la figure (lorsque nous faisons des erreurs) d’un coup à l’autre. Il a donc créé son entreprise, et peu à peu s’est mis à ne travailler plus qu’à 50%, au fur et à mesure du développement et des collaborations au sein de sa structure.

Il est alors devenu maire, en complément de son activité principale. De ce fait, ses collaborateurs, lors des réflexions et décisions à prendre pour l’entreprise, n’ont plus osé demander au « père » qui était occupé à d’autres fonctions. Ils se sont donc mis à demander aux « paires ». 3 dimensions se sont développées :

  • Une fraternité s’est installée
  • L’économie de rareté (qui consiste à faire quelque chose de plus que ce qui existe dans la concurrence) s’est accrue.
  • Ils ont fait preuve de capacité à devenir libres, fraternels et pouvoir faire des choses ensemble. Il nous explique que chez les iroquois, celui qui jouait le rôle de catalyseur représentait le groupe au niveau supérieur. Il exprime cela en prenant un exemple : aux USA, à la fin du 18ème siècle, il y a eu une rébellion face à la royauté britannique. 13 états se sont alors fédérés, pour devenir les États-unis. À une échelle différente, c’est ce qu’a fait son équipe.

Il fut aussi le premier à supprimer le secrétaire général de mairie.

Yannick Le Berre nous explique qu’ il s’agit d’introduire de nouveaux métiers qui n’existaient pas jusque-là. Cependant, il faut se servir des compétences existantes. Il a horizontalisé les responsabilités des compétences, et a rendu leur liberté à tous les agents.

Selon lui, il faut donner de l’autonomie et de la liberté et rassurer sur sa responsabilité de manager concernant les erreurs. Le manager a un rôle important : il doit libérer l’agent de base, lui redonner des responsabilités tout en assumant les erreurs s’il y a des erreurs. Il prend un autre exemple : aller sur le terrain, et faire preuve de « bon sens paysan« , aller voir ce qu’il se passe sur place. Il faut faire preuve de coopération.

Emilie Baudet trouve protéiforme et disparate l’innovation managériale. Chaque collectivité, organisation, a ses propres ressources. Echanger des bonnes pratiques est capital, mais il ne faut pas se comparer.

Selon elle, il faut construire les projets dans le temps, avec beaucoup de travail. Chacun doit trouver son chemin. Voici sa définition de l’innovation managériale : « lien et rapport au travail : attente très forte des managers et managés qui doivent se sentir dans un lieu d’épanouissement ». Il y a un changement de paradigme majeur d’après elle, le rapport au travail a complètement changé.

L’homme est naturellement tourné vers le désir d’accomplir et de s’épanouir, à condition d’être dans les bonnes conditions pour le faire. Comment a t on confiance en soi, confiance en l’autre ? Elle juge qu’il faut faire le pari de l’intelligence.


Comment l’innovation managériale est-elle arrivée dans votre structure ?


A. Brun : Grâce au numérique, mais ce fut un échec dans un premier temps car les agents n’ont pas été consultés au préalable. Donc une co-construction avec les agents a été mise en place avec succès. De plus,  beaucoup de jeunes agents arrivent et ne comprennent pas le fonctionnement « ancestral » ni la culture du chef. La transformation a eu lieu grâce à eux aussi, pour pouvoir les intégrer.

M. Hervé : Grâce à l’union, la stratégie du collectif, acceptée seulement à condition que le groupe soit suffisamment petit, entre 10 et 20. Au delà cela ne fonctionne pas. Par contre, à 20 on a besoin d’un manager catalytique. Ce n’est plus un leader, mais celui qui va favoriser le groupe, faire en sorte que la stratégie du groupe soit commune. Ce ne sera plus une stratégie de métier, mais de territoire. Il est donc le représentant. On appelle cela du FRACTAL, une organisation fractale.

Le manager catalytique facilite la communication, et facilite la singularité de chaque personne, car c’est la somme des singularités qui va faire l’intelligence collective au de la même  de l’intelligence artificielle. C’est une organisation basée sur l’ambivalence. Il illustre son propos en prenant l’exemple des poupées russes.

Y. Le Berre : Il y a un retard dans le médical. La devise de son établissement : transmettre, innover, engager. Il faut anticiper les contraintes à venir : le DG et DGA ont décidé cela. Pour mener à bien sa tâche, il propose : un accompagnement des établissements, des échanges, des groupes de travail, ou encore un accompagnement externe avec des coachs. Il évoque des problématiques en utilisant les outils numériques et le 2.0, ainsi que dans l’échange avec l’extérieur, entre pairs.

E. Baudet : Elle évoque Francois Dupuy, sociologue, qui propose une grille de lecture disant qu’on assiste en ce moment à la fin du pacte entre le recruteur et le salarié : la fidélité à l’entreprise, le chemin de carrière au sein du même établissement, et la complexité du travail aussi ; et ça ne s’insère pas dans la pyramide actuelle du management.


Retour d’expérience concret :
ce qui fonctionne bien / Les points de résistance/frustration 


Y. Le Berre : Selon lui, les bonnes pratiques sont : la transversalité, l’accompagnement terrain, le travail en mode projet. Ses points de résistance :  la résistance de certains au changement, les personnes ressources et les personnes à embarquer dans le projet. Il faut mettre l’accent sur la qualité de vie au travail désormais.

M. Hervé : Il évoque l’aspect positif : « on amène les gens à être en situation de construire eux-mêmes. Attention à ne pas tomber dans l’anarchie, il n’y a pas de jeu collectif sans règle du jeu« . Il faut donc sortir de l’anarchie pour rentrer dans des systèmes complexes. Les nouveaux collaborateurs acceptent que les choses ne changent pas par la loi, mais par l’expérience. ils acceptent également le voyage, ce qui est un élément extrêmement positif pour lui.

Un problème s’érige alors : les amener à avoir le col tricolore, qu’il explique ainsi : le col bleu : qui évoque le travail à la main ; le col blanc : l’intelligence, le système logique, il faut réaliser du sport cérébral pour rester en vie ; enfin le col rouge : le coeur : le toréador face au taureau. Pour ne pas être encorné il faut détecter les signaux faibles.

Pour lui, il faut amener les salariés à se dire : il faut ravir le client : faire le cadeau qu’il aimerait avoir mais qu’il n’a pas demandé.

Il nous livre sa vision : les individus qui entrent dans la société sont anxieux. Ils ont peur d’oser. Une autre partie des gens trichent avec eux-mêmes. Ils essayent de se montrer plus beaux qu’ils ne sont et se comportent comme des renards. Ils n’apprennent pas, ce n’est jamais de leur faute, et ils ne font aucun travail de connaissance d’eux-mêmes. Ils sont toujours dans la manipulation, ils ne font pas les choses. Ces renards vont vers les anxieux, proposent de les aider, mais se placent en leaders et dominateurs. Ils trichent.

Le but de la société est de former des gens en asservilité : la connaissance de soi, l’autorégulation dans le temps par rapport à des objectifs, de manière à recevoir des critiques des autres. Il faut se connaitre pour se reconnaitre. On les appelle les dauphins. Ils savent travailler en équipe. Ils attendent que l’anxieux viennent, ils ne viennent pas le chercher. Et s’il vient, il deviendra un dauphin. La difficulté est de sortir les renards. Sur 5 anxieux, 1 va devenir dauphin, 1 va devenir renard (on ne ment jamais à tout le monde, donc on finit toujours par être démasqué, mais jamais par le manager, toujours par les collaborateurs). Cette dimension est difficile à acquérir à cause de l’éducation qu’on a reçu. Pour lui, la capacité abductive est à développer : on reforme l’humilité, l’empathie, la résilience (on abandonne pas au premier coup dur, on remet le sujet sur la table).

A.Brun : Elle évoque le début de l’acculturation, il faut créer des liens entre les directeurs et le DG/président, les syndicats doivent être impliqués, il faut monter en compétence dans l’équipe. Il y a parfois des échecs, l’intelligence collective n’est pas toujours à la hauteur. Selon elle, « on va sur le terrain« . Elle partage la théorie du 50-30-20 :

  • 50% des collaborateurs sont dans le circuit
  • 20% sont des cas désespérés
  • 30% sont au milieu : ils ne savent pas comment s’impliquer

Pour elle, il faut surtout focaliser l’attention sur ces 30%.

E.Baudet : Elle nous partage d’abord les freins ou facteurs bloquants : elle évoque le baromètre réalisé l’an dernier des pratiques managériales. Le manque de temps et la peur du changement furent les deux points signalés comme freins.

Puis elle évoque Charles Pépin dans Les Vertus de l’échec : il démontre a quel point en France nous avons une culture de l’hostilité de l’échec, notamment dans la prise de risque. Dans toute expérimentation il y a prise de risque, donc échec probable, mais l échec a des choses à nous dire. Soit il vient tester la determination, soit il vient expliquer pourquoi ça ne fonctionne pas. Il faut l’analyser, s’en servir. Il faut s’appliquer le droit à l erreur, à soi comme à son équipe. Pour elle, les émotions ont une place et un rôle dans toute révolution managériale. Elle l’explique ainsi : nous avons 3 cerveaux : reptilien (instinct de survie) cortex (logique, intelligence) néocortex (centre émotionnel, intuition, ressentiment). Pour elle, il faut utiliser le néocortex.

Autre point : la question de la confiance apparait, et elle génère de la confiance chez les autres. Elle propose d’adopter une politique des petits pas, de la modestie et de l’humilité. « Ma perception ne correspond pas forcément aux enjeux des collaborateurs » doit se dire le manager. Il ne doit pas arriver avec des projets ficelés, ils doivent être participatifs. Il faut aussi aller chercher le soutien au plus haut niveau de la hiérarchie.

Enfin, elle évoque le sens des choses : « le pourquoi avant le comment ». Les individus ne changent que s’il y a un intérêt. Quelles sont les menaces de cela ? Elle propose un exemple pour illustrer cela :

3 tailleurs de pierre réalisent la même tache. Le manager se rend compte qu’ils ne travaillent pas du tout de la même manière. Il interroge le 1er : « que fais tu ? » « ben je taille une pierre ». Le second : « moi ? Je bâtis un mur ». Le troisième, qui va plus vite et est plus enthousiaste : « moi ? Je construis une cathédrale ».

L’émergence de quelque chose de nouveau amène à ce que les pairs s’écoutent entre eux.

Et ainsi émerge l’innovation. Elle propose de faire venir un expert pour activer cela dans un groupe qui commence à trop bien se connaitre, pour relancer la dynamique.

 

Ce panel hétéroclite d’intervenants, riches de leurs expériences, leurs savoir faire, leurs philosophie, ont permis l’émulation d’idées pour accompagner les managers dans le développement des innovations au sein de leurs structures. Il faut repenser la fonction managériale, et privilégier l’intelligence collective pour faire face à l’inexorable accélération de l’intelligence artificielle. Les schémas traditionnels, les fonctions traditionnelles doivent êtres bousculés, la collaboration semble la clé du management de demain, plus axé sur une notion de travail catalytique que jamais.

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